« Yuji » signifie « Grand esprit ouvert », un nom qui convient parfaitement à ce jeune Japonais enjoué, sympathique et bourré d’énergie. Yuji est ouvert à tout et toujours prêt à affronter la nouveauté. Ainsi, il suivit un guide de montagne, rencontré dans un magasin d’articles d’escalade à Tokyo, qui lui avait demandé s’il n’avait pas envie de grimper. Les cours coûtaient un peu plus de 100 F par jour et Yuji était obligé de travailler dur dans l’entreprise paternelle pour les payer. Mais qu’importait! Il accompagna son maître dans les sites d’escalade des environs de Tokyo. D’emblée, il parvint à gravir une voie de 5.9 à vue et en moulinette; en fin de journée, il échouait de justesse dans un des passages les plus difficiles de la région. Enthousiaste, il commença aussitôt à s’entraîner, il travailla les tractions, effectua des traversées le long des murailles d’un château de Tokyo. Mais cet entraînement intensif provoqua chez lui des lésions aux épaules et Yuji dut se ménager une pause de six mois.
Des photos d’escalade provenant des USA l’incitèrent alors à quitter l’école et la maison familiale. Il a dix-sept ans quand il décide de partir aux États Unis pour y passer six mois avec un de ses amis japonais. Il séjourne dans les sites les plus prestigieux, au Yosemite, à Joshua Tree et à Smith Rock. Il y réalise des fissures extrêmement dures comme Phoenix, et Cosmic Debris, mais les grimpeurs européens qui » s’élèvent dans les voies les plus extrêmes avec d’étranges contorsions et réussissent à s’accrocher à des prises minuscules » le fascinent. De retour au Japon, il termine ses études, travaille et s’entraîne dans la perspective d’un voyage en Europe prévu pour l’été 1988.
En deux mois passés à Buoux, il progresse du 7b au 8b, il inscrit alors à son palmarès la quatrième ascension des Spécialistes et la première à vue d’Orange Mécanique. Il s’essaie également à la compétition, prend la huitième place à Marseille et la treizième au Rockmaster d’Arco.
Le milieu européen et son obsession des performances ne lui plaisent guère, tout cela lui semble bien trop sérieux, trop obsessionnel et l’aurait presque découragé de l’escalade. Il retourne donc au Japon, mais constate très vite que grimper lui manque. Alors il revient définitivement en Europe. Après sa victoire aux rencontres de coupe du monde de Francfort, en 1989, il décide de partager un appartement à Aix avec François Legrand. Bien que Yuji ne parle pas français, les deux copains passent une année ensemble visant un même objectif : gagner la coupe du monde. » Nous consacrions environ neuf heures par jour à grimper dans les rochers et nous entraînions encore le soir sur notre petit mur d’escalade, parfois même jusqu’à une heure du matin. » Yuji profite beaucoup de l’enseignement de François, pourtant ce programme d’entraînement le stresse et ne le satisfait guère parce qu’il ne lui convient pas. Bientôt la rivalité s’installe entre eux et devient tout aussi problématique.
Au printemps 1991, Yuji parcourt l’Espagne et passe quelques bons moments avec Carles Brascô et ses amis. Contraint au repos à la suite d’une blessure, il consacre davantage de temps à faire la fête qu’à grimper. Vers la fin de l’année, il se blesse de nouveau les doigts à Francfort, il décide alors de faire de la course à pied et de la natation pendant un mois et de suivre un régime. Après cette pause, il remporte une victoire inattendue au Rockmaster d’Arco en 1991 puis une autre, et la plus belle sans doute, lors des rencontres de coupe du monde à Tokyo.
En compétition comme sur les rochers, il fascine par son style puissant et dynamique tout en restant souple et extrême-ment vif. Après avoir connu des hauts et des bas en 1992, Yuji cherche une explication au ralentissement de sa progression. Teluaki Obana, un maître de yoga, lui prodigue des conseils. Ce sage de soixante-quinze ans l’initie au yoga, lui enseigne comment se détendre, mieux respirer et vivre sainement. Il lui fait comprendre qu’il peut tout atteindre, s’il le veut. Depuis, Yuji a l’impression d’être devenu un autre homme.