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Patrick Edlinger

A dix-sept ans, quand, le sac sur l’épaule, j’ai quitté l’école et la maison de mes parents pour me consacrer uniquement à la grimpe, je voulais rompre avec une société trop injuste à mes yeux. Mes parents m’encourageaient et m’aidaient financièrement. Mais, comme cet argent ne suffisait pas à me nourrir et à payer mes voyages, il m’arrivait parfois de faucher ce minimum dont j’avais besoin pour survivre. Les premières années n’ont pas été faciles, mais j’ai eu cette chance fantastique de jouir d’une liberté totale et sans limites. Je passais mon temps à grimper. Mon but n’était pas la quête de la difficulté, mais de me dépenser et de faire des voies dans le meilleur des styles possible. L’escalade, c’était propre et beau et cet univers était assez vaste pour que mes rêves y prennent place. L’escalade était ma vie, et elle le reste. « 

Patrick Edlinger est la Rock Star par excellence; bien au-delà des frontières françaises (où selon une enquête de Paris Match il est le sportif le plus célèbre, toutes disciplines confondues), Patrick a fait connaître l’escalade au moyen de films, d’émissions télévisées, de livres, d’innombrables articles et photos publiés dans la presse. Par le mode de vie qu’il incarne, par son charisme, mais bien sûr aussi à cause de son style à la fois élégant et précis, il a incité de nombreux jeunes à pratiquer l’escalade. Dans toutes ses publications, il s’est efforcé de transmettre le message qui correspond le mieux à son éthique de la grimpe. Les critiques émanant d’adversaires qui lui reprochent de n’être qu’une star du show-business, sont injustifiées, car il à prouvé des années durant, en pratiquant le solo intégral, en grimpant à vue et en remportant de nombreuses compétitions, qu’il compte indéniablement parmi les plus grands.

Les parents de Patrick sont des passionnés de montagne. A treize ans, il part grimper avec son père. Un an plus tard, il réussit des voies très techniques dans les gorges du Verdon. De cette époque, il garde le souvenir de ses angoisses et de rudes nuits de bivouac. Après les cours, Patrick enfourche sa Mobylette et se rend presque chaque jour dans les falaises du Baou, près de Toulon. Manquant parfois de partenaires, il commence à réaliser certaines voies en solo intégral. Il a dix-sept ans.

Puis il s’attaque en solo à toutes les voies de la région jusqu’au 7a. Peu de temps après, il interrompt ses études et part en auto-stop à la découverte d’autres sites du sud de la France, n’ayant qu’une chose en tête: grimper.

Il a dix-huit ans quand il rencontre un autre passionné, Patrick Berhault. Ils se lient d’amitié et font équipe. Sous l’in-fluence de Berhault que la nouvelle génération d’alpinistes considère comme un pionnier, il passe une année et demie dans les granits et les glaces du massif du Mont-Blanc. Mais Berhault part pour l’Himalaya, et Patrick se tourne de nouveau vers les falaises. Une participation à plusieurs films de Jean-Paul Janssen ( Over-don, Overice et Oversand ) et des contrats avec des sponsors lui permettent alors de vivre. En 1982, Jean-Paul Janssen se manifeste de nouveau et lui parle d’un scénario de film : La Vie au bout des doigts, qui raconte l’histoire d’un homme qui vit en pleine nature et pour sa seule passion, l’escalade. Patrick, qui au fond est plutôt de tempérament timide et réservé, profite de la chance qui s’offre à lui. Il tourne pendant quatre jours dans les falaises de Buoux et touche un cachet de 5 000 F. Le film remporte un tel succès qu’en une nuit il se retrouve propulsé au rang de star. 

D’un point de vue technique, des ascensions en solo telles que Le Rut et le Pilier des fourmis frôlaient les limites de ce que l’on pratiquait à l’époque.  » Mon but était de gravir une voie dans le style le plus pur qui soit, et c’était le solo intégral. D’abord je gravissais la voie, assuré par la corde, deux ou trois fois, selon le degré de difficultés. Si je n’avais fait aucune chute, je la tentais en solo intégral. Je me concentrais totalement sur mes mouvements qui devaient être à la fois économiques et précis, ma motivation était comme décuplée. En vérité, le solo intégral a toujours été une sorte de quête de moi-même. Parfois, j’ai découvert en moi de nouvelles énergies, je suis arrivé à des limites inimaginables auparavant. A mes yeux, la peur représente la frontière au-delà de laquelle se trouve la mort. Celui qui ne connaît pas ce sentiment ignore les limites et risque de mourir très vite. La peur est une nécessité absolue, c’est elle qui te dicte ce que tu dois faire ou éviter. « 

Pour Patrick, l’escalade a toujours été un moyen d’épanouissement. Il n’accorde aucune valeur aux comparaisons entre grimpeurs. La seule chose importante à ses yeux est la confrontation avec le rocher et la nature. Il réprouve catégoriquement les prises artificielles :  » Les prises artificielles, c’est se faire illusion à soi-même, elles ne servent qu’à fuir les véritables problèmes. Les performances accomplies grâce à des prises artificielles ne m’impressionnent guère puisque ces grimpeurs là se fabriquent la voie qu’ils sont capables de gravir. Il ne faut pas priver la prochaine génération de rêves. « 

Il a accompli de véritables prouesses loin des rivalités du milieu de l’escalade. Ainsi, avec Ç’a glisse au Pays des Merveilles, il ouvrait la deuxième voie française de 8a dès 1983. En 1984, La Boule s’inscrivait parmi les premières lignes de 8a+. En 1988, il réussit, en cinq jours, l’ouverture des Sucettes à l’anis et de Are you Ready ? ainsi que la deuxième des Spécialistes. En 1989, il fait une nouvelle démonstration en gravissant Orange Mécanique en solo intégral, puis succèdent la seconde de Maginot Line et une répétition d’Azincourt. D’excellents résultats en compétition viennent confirmer sa grande forme. Bien qu’il n’aime pas trop les confrontations directes, il considère que la compétition enrichit l’escalade; d’ailleurs, il a participé à plusieurs compétitions depuis 1986.

C’est aussi un passionné de voyages. En 1977, il avait découvert l’escalade libre à l’occasion d’un séjour aux États-Unis. Il y retourne en 1985 avec le photographe Gérard Kozicki pour préparer son livre Rock Games. Il réalise alors une série d’ascensions à vue dans des voies extrêmes et la première spectaculaire de Love Supreme ouvre enfin les yeux des Américains sur le niveau de l’escalade européenne.

Hier encore, Patrick était au meilleur de sa forme, il continuait à s’entraîner systématiquement sur un immense mur d’escalade. Parallèlement, il animait avec amour la revue Rock en tant que rédacteur en chef et lui insuffle le véritable esprit de l’escalade. Il voyait dans cette activité le prolongement de sa passion pour le rocher.

C’est aujourd’hui que Patrick nous quitte, le 16 décembre 2012, à l’age de 52 ans. Fin d’une vie où le Blond dit  » ne rien regretter de ce qu’il a pu faire ou entreprendre ».

Une réflexion au sujet de « Patrick Edlinger »

  1. Laurent Thibault dit :

    16 novembre 2012

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